Friday, October 17, 2008

La littérature féodale

La littérature féodale


L'effondrement des structures de l'Empire romain et les invasions laissent en place les seules institutions stables, celles de l'Eglise, devenue le conservatoire des savoirs antiques, au moins matériellement, car elle ne les utilise que partiellement, dans la perspective du commentaire de la Bible et de la formation spirituelle.

De l'abbaye au château

Malgré de constants efforts, notamment pendant la Renaissance carolingienne - par exemple, les travaux d'Alcuin, théologien anglo-saxon de langue latine et abbé de Saint-Martin-de-Tours, chargé par Charlemagne de restaurer la vie intellectuelle - , le latin s'abâtardit, mais en servant au moins de langue courante : c'est le temps des chroniques de monastère, des récapitulatifs historiques. La culture latine des monastères est une culture de piété qui utilise la langue vulgaire pour des moments liturgiques : premiers rituels presque théâtraux, prières, comme la Séquence de sainte Eulalie, au IXe siècle. Puis se détache, à la fin du Xe siècle, tant en latin qu'en français, une littérature parahistorique, ou légendaire, car la tradition conservatrice des faits y mêle d'autant plus volontiers miracles et anachronismes que cela peut flatter les idéaux des auditeurs. La transmission en est orale et les textes, qui restent anonymes, ne se fixeront que plus tard (XIe siècle). Les chansons de geste, qui rappellent l'héroïsme des compagnons de Charlemagne, flattent la chevalerie naissante (en même temps qu'elles légitiment sa mainmise sur les territoires). La plus ancienne connue est la Chanson de Roland (avant 1100) ; les narrateurs utilisent les mêmes personnages pour rattacher les récits les uns aux autres, formant des cycles autour de héros - par exemple, la geste de Guillaume d'Orange, de la Prise d'Orange aux Aliscans.( Azadunifr )

En dehors des abbayes, des châteaux aux villes alors souvent en train de se reconstituer - , clercs vagabonds, pèlerins et musiciens promènent ces récits éducatifs et moralisants, qui seront par la suite réécrits sous une forme romanesque.

Les cours et les voyages

L'évolution de la structure féodale favorise lentement l'organisation d'une vie aristocratique. Les guerres (conquête de l'Angleterre par les Normands, conflits entre princes allemands et italiens) feront le reste, suivies par les croisades, qui rassemblent la chevalerie européenne et la mettent au contact de l'Orient, plus lettré. S'ensuit un brassage de thèmes et une vie riche d'échanges. Certaines cours jouent un rôle capital : celle de France, et surtout celle d'Aquitaine, où la reine Aliénor encourage l'élaboration des premiers romans en vers, romans dits antiques - ils puisent dans le fonds des épopées et histoires gréco-latines, tel, en 1160, le Roman de Troie de Benoît de Sainte-Maure - , ou bretons - emprunts au fonds celtique et à la légende du roi Arthur ou à celle de Tristan, avec le Tristan et Iseut de Béroul (entre 1150 et 1195) et celui de Thomas d'Angleterre. Différentes versions des récits en sont fixées par des clercs, afin d'être lues à haute voix à des assemblées d'auditeurs.

Plus esthétique encore, l'évolution de la poésie lyrique épanouit en Occitanie, puis dans le Nord, le grand chant courtois de la souffrance d'aimer (qui n'est pas sans rapport avec la lyrique arabe). Les chansons explorent des thématiques plus familières, inséparables de la musique. Nombreux en sont les créateurs, qu'ils soient nobles (le duc Guillaume d'Aquitaine, le Périgourdin Bertran de Born, le Picard Conon de Béthune, l'Occitan Jaufré Rudel) ou attachés à une grande maison (Marcabrun, qui Suvrera de la cour de Poitiers à celle de France).

Après Aliénor, ce sont ses filles, surtout la comtesse de Champagne, qui perpétuent son mécénat : Chrétien de Troyes fait du monde arthurien le lieu commun romanesque par excellence, avec, notamment, Érec et Énide (vers 1165), Lancelot (vers 1171) et Perceval (vers 1181).

Lyrique et romanesque, la littérature est aristocratique et perpétuera les formes créées jusqu'au XVe siècle, quitte à les enrichir de thèmes nouveaux (moins d'aventure, plus de tournois), à les réécrire en prose, à les compléter.

Pourtant, avec humour, des parodies surgissent presque aussi vite : le Roman de Renart unit aux contes folkloriques une vision satirique de la société chevaleresque puis mercantile.

L'Université et la ville

Les XIIe et XIIIe siècles connaissent en fait des renaissances, où la littérature antique et la connaissance du monde refont surface, à travers un immense effort éducatif que reflète, au milieu de l'expansion des villes, le développement des écoles au pied des cathédrales et la création des universités. L'activité des clercs et des étudiants, les échanges dus à la vitalité des nouveaux ordres mendiants (Franciscains et Dominicains) concourent au débat d'idées européen : retour du platonisme et de la pensée symbolique, naissance d'une réflexion sur la logique et l'argumentation (Abélard), constitution de grandes sommes religieuses (école chartraine et, à Paris, école de l'abbaye de Saint-Victor) et théologiques (saint Thomas d'Aquin).

La littérature en français accompagne ce travail intense, en se marquant par exemple de volontés éducatives et spirituelles, dont témoigne la réorientation des romans du cycle arthurien dans un sens religieux (Robert de Boron, le Roman de l'Estoire dou Graal, vers 1110-1115).

D'autres participants surgissent : dans les cités devenues de vraies puissances, des élites riches se montrent soucieuses de marquer leur existence communautaire à travers la forme d'expression privilégiée qu'est le théâtre, organisé en période de fête religieuse. Les villes drapières du Nord, actives et indépendantes, innovent : à Arras, Jean Bodel combine hagiographie et thème épique avec le Jeu de saint Nicolas. Certaines villes voient apparaître des confréries littéraires, «puys» du nord de la France et «palinods» de Normandie, où s'organisent des concours de poèmes religieux. En marge, et reflétant les mSurs urbaines, les fabliaux, dans un récit court dépourvu de merveilleux, introduisent une note réaliste.

Le conflit entre auteurs et public potentiel devient plus conscient. Les écrivains, excepté pour les poèmes lyriques courtois, sont des clercs : les valeurs chevaleresques ne sont pas les leurs, non plus que celles des bourgeoisies qui mettent en scène les représentations théâtrales. On assiste donc à une multiplication des genres, pour répondre aux nouveaux goûts et aux nouveaux publics. De véritables personnalités d'auteurs se font jour, comme celle de Rutebeuf, moraliste savoureux et agressif dans le Miracle de Théophile (vers 1260) et dans la «branche» qu'il ajoute au Roman de Renart, Renart le Bestourné. Un texte résume l'évolution littéraire : le Roman de la Rose, commencé vers 1230 par Guillaume de Lorris comme une allégorie aristocratique de la recherche de l'amour et continué, quarante ans plus tard, par Jean de Meung comme une revue critique des mSurs et des savoirs.

L'histoire proprement dite, héritière des Grandes Chroniques de France, naît avec les récits de témoins comme Villehardouin, Joinville (Histoire de Saint Louis, 1305-1309), qui font de leur Suvre un exemple et une leçon. Car le moralisme réconcilie tout : on «moralise» les récits anciens d'Ovide, les fables d'Ésope, on garde le souci d'éduquer.

Temps de survie

Les XIVe et XVe siècles sont marqués par la peste, la guerre et la famine, qui tuent un tiers de la population d'Europe. Il faut faire fonds sur les vertus théologales (foi, espérance et charité) pour continuer le chant courtois (Guillaume de Machaut, Eustache Deschamps), la pastorale (Philippe de Vitry), le roman d'aventure, l'éducation morale des jeunes, et les finesses de la théologie scolastique, quand la fiction est si loin du réel. D'où la montée de genres qui unifient une communauté - théâtre, chroniques (Froissart) , mais aussi d'oeuvres qui intègrent la vision critique du monde - du Roman de Fauvel (1310-1314), attribué à Gervais du Bus, au Quadrilogue invectif (1422) d'Alain Chartier.

Le goût - ou le besoin - de racines culturelles l'emporte, lié sans doute à la constitution précoce de l'idée nationale et à l'apogée de l'imaginaire chevaleresque. C'est le temps des Très Riches Heures du duc de Berry, illustré par les frères de Limbourg en 1413-1416, des juristes et des traducteurs de Charles V, qui reviennent à Aristote, de Christine de Pisan.

Ailleurs, en particulier en Avignon, par où pénètre la culture italienne, cette dynamique s'est déjà accélérée : la renaissance urbaine et artistique est accomplie, la renaissance des langues anciennes commence, la promotion des langues vulgaires a acquis ses modèles (Dante, Pétrarque).

Reconstruction

La reconstruction du royaume donne naissance à une vie culturelle brillante, notamment dans les cours des ducs de Bourgogne et du roi de France : les princes, appuyés concrètement sur les villes et idéologiquement sur la noblesse, prennent la tête du mouvement, à travers une trilogie de manifestations originales : la fête, qui se déploie sur des canevas de romans, l'histoire, conçue comme une glorification nationale et dynastique, la poésie, suscitée pour l'agrément mais aussi pour le service politique - c'est là l'objectif des «grands rhétoriqueurs» (Guillaume Crétin, Jean Molinet).

Dans un dernier feu, le milieu du XVe siècle épanouit tous les genres précédents : théâtre (la Farce de Maître Pathelin, vers 1464 ; les mystères d'Eustache Marcadé et d'Arnoul Gréban), poésie courtoise (Charles d'Orléans), poésie lyrique (Villon), récits satiriques (les Quinze Joyes de mariage, anonyme, vers 1450), roman (le Petit Jehan de Saintré, d'Antoine de La Sale, 1456).( Azadunifr )

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